Chercheuse responsable : Viviane Pires Ribeiro
Titre de l’article : Garde d’enfants universelle, offre de travail maternel et bien-être familial
Auteurs : Michael Baker, Jonathan Gruber et Kevin Milligan
Lieu d'intervention : Québec/Canada
Taille de l'échantillon : Non spécifié
Grand sujet : la santé
Variable d'intérêt principal : Garde d'enfants
Type d'intervention : Analyse de l'impact du changement de politique sur le bien-être familial
Méthodologie : Modèle de différences dans les différences
Une évaluation complète des services de garde publics nécessite des réponses à des questions qui n’ont pas été abordées clairement et collectivement dans la littérature. Face à cette lacune, Baker, Gruber et Milligan (2008) analysent l'introduction de services de garde hautement subventionnés et universellement accessibles au Québec, en abordant l'impact sur le recours aux services de garde, l'offre de main-d'œuvre maternelle et le bien-être des familles. Les résultats de l’étude incitent à la prudence chez les autres provinces canadiennes qui envisagent d’adopter le modèle québécois de garde d’enfants. Il est possible que les résultats soient des effets à court terme plutôt qu'à long terme, mais davantage de preuves sont nécessaires avant que le programme ne soit adopté ailleurs.
Contexte d'évaluation
On peut constater qu'au cours de la dernière génération, la proportion de mères qui travaillent dans la population active rémunérée en Amérique du Nord a augmenté considérablement. Au Canada, le taux d'emploi des mères d'au moins un enfant de moins de 6 ans est passé de 31 % en 1976 à 67 % en 2004. Toutefois, cette tendance n'a pas été compensée par une baisse de la proportion de parents qui travaillent, ce qui a nécessité un recours accru à des emplois rémunérés. et des services de garde d'enfants non rémunérés. Dans ce même pays, le pourcentage d’enfants de moins de 6 ans confiés à la garde d’une personne autre que leurs parents est passé de 40 % en 1994-95 à 51 % en 2002-3.
Actuellement, l'augmentation des subventions aux services de garde d'enfants cible les familles à faible revenu au Canada; Les familles à revenus moyens et élevés bénéficient de modestes subventions fiscales pour les garderies ou les écoles maternelles. Mais l’intérêt pour des subventions plus universelles pour l’éducation et la garde de la petite enfance, comme celles proposées dans de nombreux pays européens, suscite un intérêt croissant. En 1997, par exemple, le gouvernement provincial du Québec au Canada a introduit un nouvel ensemble de politiques familiales, comprenant des changements majeurs aux subventions gouvernementales pour la garde d'enfants. La pièce maîtresse était un programme de garde d'enfants visant à offrir des places réglementées à tous les enfants âgés de 0 à 4 ans au Québec, avec une contribution parentale de 5,00 $ par jour. Les enfants étaient éligibles, que leurs parents travaillent ou non. Le programme a été mis en œuvre progressivement, en commençant par les enfants de 4 ans en septembre 1997. Par la suite, les enfants de 3 ans sont devenus éligibles en septembre 1998, les enfants de 2 ans en 1999 et les enfants de 0 et 1 an en septembre 2000.
L’accès universel aux soins de la petite enfance présente plusieurs avantages. Les systèmes de financement public peuvent fournir un accès plus équitable à des services de garde d’enfants de qualité et conduire à une plus grande offre de main-d’œuvre parmi les travailleurs du secteur secondaire. Dans le même temps, les systèmes publics nécessitent un financement public important, ce qui se fait au prix d’impôts plus élevés et donc d’une efficacité économique réduite. En outre, il est possible que les services de garde publics « évincent » les services de garde privés, sans augmentation nette du recours aux services de garde d’enfants ou de l’offre de main-d’œuvre sur le marché. Enfin, et c'est le plus important, il existe un effet ambigu sur les résultats des enfants selon les implications du temps passé en garderie par rapport au temps passé avec les parents.
Détails de l'intervention
Une évaluation complète des services de garde financés par les fonds publics nécessite de répondre à trois questions. Premièrement, le financement public affecte-t-il la qualité ou la quantité des soins fournis, ou conduit-il simplement à la substitution d’une forme de soins par une autre ? Deuxièmement, si le recours aux services de garde d’enfants augmente, quelle sera l’ampleur de l’augmentation correspondante de la participation des parents au marché du travail et qu’est-ce que cela suggère sur le coût net de la politique ? Troisièmement, quel effet les changements dans les services de garde d’enfants (et les augmentations associées de la participation au marché du travail) ont-ils sur les résultats des enfants et des familles ? Ainsi, Baker, Gruber et Milligan (2008) soutiennent que les études antérieures sur les politiques de garde d’enfants offrent, au mieux, des réponses incomplètes à une ou deux de ces questions et qu’il n’y a pas eu d’évaluation d’une intervention publique à grande échelle qui répondrait à toutes les questions. des enjeux.
L'étude réalisée par les auteurs fournit donc une telle évaluation en s'appuyant sur une innovation politique majeure dans la province canadienne du Québec à la fin des années 1990. La politique familiale du Québec a débuté en 1997 avec l'extension de la maternelle à temps plein à tous les enfants âgés de 5 ans et plus. la fourniture de services de garde d'enfants au prix de 5,00 USD par jour pour tous les enfants de plus de 4 ans. Cette politique de 5,00 $ par jour a été étendue à tous les enfants de 3 ans en 1998, à tous les enfants de 2 ans en 1999 et enfin à tous les enfants de moins de 2 ans en 2000. Ce changement radical de politique dans l'une des plus grandes provinces du Canada donne lieu à un projet de recherche visant à évaluer l’effet des services de garde financés par l’État.
L'analyse est fondée sur l'Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes (ou plus précisément, l'Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes – ELNEJ). L'ELNEJ est un ensemble de données de panel continu qui suit les progrès d'un vaste échantillon représentatif à l'échelle nationale d'enfants canadiens. En ce sens, les auteurs ont mesuré l'impact du changement de politique sur l'offre de travail des mères, l'utilisation des garderies et les résultats des enfants et des parents. Étant donné que les réformes concomitantes du programme rendent difficile la déduction des mères célibataires, les auteurs se sont concentrés sur les femmes mariées et leurs enfants.
Détails de la méthodologie
L'ensemble de données de l'ELNEJ fournit des informations sur un riche ensemble d'options de garde d'enfants, ainsi que le suivi des évaluations des parents et des enseignants sur le développement des enfants, les résultats aux tests et le classement des classes. La taille de l'échantillon est, en moyenne, d'environ 2 000 enfants de chaque âge et par an. C'est pour cette raison que Baker, Gruber et Milligan (2008) ont utilisé les poids fournis par l'enquête dans tous les résultats présentés. L'échantillon principal est constitué d'enfants âgés de 0 à 4 ans, bien que pour certains contrôles de robustesse, les enfants âgés de 8 à 11 ans soient également pris en compte. Les enfants de cinq ans ont été exclus afin d'isoler l'effet du programme de garde d'enfants de celui de la maternelle. La principale restriction de l'échantillon était de n'inclure que les enfants issus de familles biparentales.
Les auteurs ont estimé des modèles de différence de différences comparant les résultats au Québec et dans le reste du Canada au moment de la réforme. La période « précédant la réforme » a été appelée vagues 1 et 2 de l'ELNEJ, couvrant la période de 1994-1995 à 1996-1997. La période « post-réforme » correspond aux vagues 4 et 5 de l’ELNEJ, 2000-2001 et 2002-2003.
La procédure produit des effets en intention de traiter, puisque les auteurs ont estimé les effets de la forme réduite pour les enfants, et pas seulement pour les familles ayant choisi la garde. Cela présente l’avantage de potentiellement capter tout l’impact du programme sur les modalités de soins subventionnés et non subventionnés, ainsi que toutes les externalités des pairs. De plus, en raison d'une certaine incertitude concernant les réponses aux questions sur la garde d'enfants dans l'enquête, l'approche permet une certaine flexibilité pour décider de quelle probabilité de traitement les effets de l'intention de traiter doivent être mis à l'échelle pour arriver à l'impact du traitement sur la personne traitée. .
Résultats
Les résultats trouvés par Baker, Gruber et Milligan (2008) indiquent que l'introduction de subventions universelles pour les services de garde au Québec a entraîné une augmentation significative du recours aux services de garde. La proportion d'enfants de 0 à 4 ans pris en charge a augmenté de 14 points de pourcentage au Québec par rapport au reste du pays. Cette augmentation des services de garde d'enfants était associée à une augmentation considérable de l'emploi des femmes dans les familles biparentales. L'emploi a augmenté de 7,7 points de pourcentage au Québec. La différence entre l’augmentation de l’emploi et l’augmentation du recours aux services de garde reflète principalement la réduction du recours aux services de garde informels, ou « l’éviction » des services de garde informels par ces nouveaux services de garde subventionnés. En partie à cause de cette exclusion importante, les impôts générés par la nouvelle offre de travail maternel ne suffisent pas à couvrir les coûts de l'augmentation des subventions pour la garde d'enfants.
Des preuves cohérentes et solides des effets négatifs du changement de politique sur une gamme de résultats pour les enfants, sur la parentalité et sur les résultats parentaux ont également été trouvées. Les résultats des enfants sont pires pour diverses mesures déclarées par les parents, telles que l'anxiété, l'agressivité, les capacités motrices et sociales, l'état de santé de l'enfant et la maladie. Les mesures de la fonction parentale et familiale ont également été affectées négativement, et il existe des preuves d'une détérioration de la santé parentale et d'une qualité réduite de la relation parentale. À notre connaissance, les effets sur les résultats parentaux et familiaux n’ont pas été étudiés auparavant. Par conséquent, les résultats suggèrent que dans ce cas, un meilleur accès aux services de garde était mauvais pour les enfants et les parents dans toutes les dimensions capturées dans les données. Il existe cependant des interprétations de ces résultats qui sont plus bénignes. Même si certaines de ces explications semblent incompatibles avec les données, il n’est pas possible d’exclure la possibilité que les résultats représentent un ajustement à court terme des services de garde plutôt qu’un impact négatif à long terme.
Leçons de politique publique
L'étude de Baker, Gruber et Milligan (2008) fournit la première analyse complète d'un programme universel de garde d'enfants subventionné, en suivant son impact depuis l'utilisation des services de garde jusqu'à l'emploi et, en fin de compte, les résultats des enfants et des parents. Des preuves solides ont été trouvées d'une évolution vers un nouveau recours aux services de garde d'enfants, même si environ un tiers des recours récemment signalés semblent provenir de femmes qui travaillaient auparavant et avaient des arrangements informels. L’impact de l’offre de main-d’œuvre est très significatif. Des preuves accablantes ont également été rapportées selon lesquelles les résultats des enfants se sont détériorés depuis l'introduction du programme. Des preuves suggèrent que les familles étudiées sont devenues plus stressées avec l'introduction du programme. Cela se manifeste par une agressivité et une anxiété accrues chez les enfants ; une parentalité plus hostile et moins cohérente pour les adultes ; et une pire santé mentale des adultes.
Les auteurs soulignent que ces résultats sont sujets à une série d’interprétations qui soulignent l’importance des travaux futurs dans ce domaine. Plus important encore, il n’est pas clair si les résultats négatifs chez les enfants ne sont que des problèmes à court terme ou présagent des effets à long terme. En outre, l’étude soulève la question de savoir pourquoi les familles profiteraient d’une politique qui entraîne de pires résultats pour les enfants, de pires résultats pour les parents et de pires résultats pour les parents. Il est possible que les autres avantages non mesurés d’un revenu familial plus élevé compensent ces coûts. Alternativement, il est possible que les familles apprennent qu'elles ne sont pas mieux loties sous ce nouveau régime et que le recours ultime aux services de garde d'enfants subventionnés risque de diminuer. Là encore, le suivi de l’évolution à long terme de ces effets politiques sera essentiel à une analyse complète du bien-être des programmes.
Malgré ces réserves, les résultats sont particulièrement pertinents pour les débats politiques en cours aux États-Unis et au Canada. Les estimations ne disent rien de l'efficacité des subventions ciblées pour la garde d'enfants pour des groupes tels que les mères célibataires, mais celles-ci ne sont généralement pas au centre du débat actuel. Au contraire, c’est l’expansion universelle de l’éducation et de la protection de la petite enfance qui suscite les débats les plus passionnés. Plus directement, les données de l'étude incitent à la prudence au Canada pour les autres provinces qui envisagent d'adopter le modèle québécois de garde d'enfants. Il est possible que les résultats soient des effets à court terme plutôt qu'à long terme, mais davantage de preuves sont nécessaires avant que le programme ne soit adopté ailleurs.
Références
BOULANGEUR, Michael ; GRUBER, Jonathan ; MILLIGAN, Kévin. Services de garde d’enfants universels, offre de main-d’œuvre maternelle et bien-être familial. Journal d'économie politique , vol. 116, non. 4, p. 709-745, 2008.