Chercheur responsable : Bruno Benevit
Titre original : Assortative éducative et inégalités de revenu des ménages
Auteurs : Lasse Eika, Magne Mogstad et Basit Zafar
Lieu d'intervention : Danemark, Allemagne, Norvège, Royaume-Uni, États-Unis
Taille de l'échantillon : 2 846 609 personnes
Secteur : Éducation
Variable d'intérêt principal : Inégalité des revenus
Type d'intervention : Sélection du mariage par éducation
Méthodologie : OLS, décomposition DiNardo
Résumé
La persistance des inégalités entre les familles est aujourd’hui l’un des sujets ayant le plus grand impact sur les sociétés. La sélection de compagnons présentant des caractéristiques sociales similaires peut être soulignée comme un mécanisme de pérennisation de ce phénomène, englobant également le niveau d'éducation des individus. Cet article cherchait à identifier comment l'inégalité des revenus entre les familles est associée à la sélection du mariage en fonction du niveau d'éducation des partenaires dans cinq pays entre 1962 et 2013. Grâce à une analyse descriptive et à l'utilisation d'une méthode de décomposition semi-paramétrique, les preuves trouvées ont démontré que les individus de tous les pays sélectionnent des partenaires ayant un niveau d'éducation similaire, et que ce comportement explique une part considérable des inégalités de revenus entre les familles.
La richesse des unités familiales est étroitement liée aux conditions socio-économiques des membres de la famille. Ainsi, les inégalités de revenus entre les familles peuvent s’expliquer par les caractéristiques du couple qui compose le chef de famille et son conjoint. Dans la mesure où les partenaires sélectionnent des individus ayant des conditions socio-économiques similaires, ce comportement peut expliquer la persistance des inégalités de revenus entre les familles (Eika, Mogstad et Zafar, 2019).
Dans ce contexte, la sélection de partenaires de même niveau d'éducation ( accouplements éducatifs assortis ) peut représenter l'un des vecteurs qui induisent le maintien et l'expansion des inégalités de revenus entre les familles (unités du ménage). Cependant, pour identifier correctement l’effet de ce comportement sur la répartition des revenus au fil du temps, il est nécessaire de prendre en compte des aspects tels que l’élargissement de l’accès à l’enseignement supérieur pour les deux sexes (Liu et Lu, 2006) et les rendements découlant de l’éducation supérieure. l’éducation de chaque période (Autor, Katz et Kearney, 2008).
Entre 1962 et 2013, le coefficient de Gini sur le revenu des ménages des couples mariés est passé de 33,9 à 43,2 aux États-Unis. Dans le même temps, la proportion de couples dans lesquels les deux conjoints ont fait des études supérieures a augmenté de 22 points de pourcentage au cours de la même période. Au cours d’une période similaire, le même comportement a été observé en Allemagne, au Danemark, en Norvège et au Royaume-Uni.
Concrètement, la proportion de maris titulaires d'un diplôme universitaire était de 13 % en 1962 et de 37 % en 2013, tandis que seulement 7 % des femmes détenaient un diplôme universitaire en 1962, se rapprochant de celle de leur mari en 2013 lorsqu'elle atteignait le pourcentage de 40 %. Une augmentation de la prime de l’enseignement supérieur a également été observée sur cet intervalle. De plus, le rapport entre les revenus des hommes et ceux des femmes a également diminué, passant de 6,4 en 1962 à environ 2,1 en 2013.
L'analyse des États-Unis reposait sur deux sources de données. La première analyse pour les États-Unis couvrait la période de 1962 à 2013, à l’aide de l’enquête mensuelle sur la population (CPS) accessible au public. Le CPS fournit pour chaque année des données de couverture nationale et représentatives des ménages, permettant l'identification des ménages et des membres de la famille. Les variables prises en compte comprenaient des informations démographiques individuelles (telles que le sexe, la date de naissance et l'état civil) et des données socio-économiques (y compris le niveau d'éducation et le revenu).
La deuxième source de données impliquait l’utilisation de données provenant des recensements décennaux des États-Unis. Le principal avantage des données du recensement réside dans leur portée temporelle, permettant d'étudier la sélection des mariages selon le niveau de scolarité depuis 1940. En raison de l'impossibilité d'identifier les conjoints, le recensement de 1950 n'a pas été pris en compte. L’analyse des inégalités de revenus des ménages aux États-Unis n’a pris en compte que les données CPS.
L'analyse relative aux autres pays a pris en compte plusieurs sources de données ayant une structure similaire à celle du CPS, contenant des données démographiques et socio-économiques représentatives des individus et des ménages, et couvrant les données jusqu'en 2013. Pour le Danemark et la Norvège, les données d'enregistrement administratif avec les données disponibles ont été utilisées à partir de 1980 et 1967 respectivement. La source de données pour l’Allemagne est le Panel socio-économique allemand (SOEP), qui fournit un panel depuis 1984. Pour le Royaume-Uni, les données de l’Enquête sur la population active du Royaume-Uni (LFS) ont été utilisées à partir de 1979.
Pour l'analyse principale, l'échantillon a été restreint aux couples dont au moins un partenaire était âgé de 26 à 60 ans. Les individus ont été répartis en quatre groupes mutuellement exclusifs en fonction de leur niveau d'éducation le plus élevé : (i) enseignement secondaire incomplet, (ii) enseignement secondaire complet, (iii) enseignement supérieur incomplet et (iv) enseignement supérieur complet.
Le processus de sélection du mariage par éducation est défini comme la tendance des personnes présentant des caractéristiques similaires à se marier plus souvent que ce à quoi on pourrait s'attendre dans un scénario aléatoire. Ainsi, on peut identifier et quantifier ce comportement en comparant le tableau de contingence des niveaux d'éducation des épouses et des maris avec un tableau de contingence généré par des appariements aléatoires entre maris et femmes. De cette manière, on calcule des paramètres qui permettent d'évaluer la probabilité d'union entre des partenaires ayant le même niveau d'éducation, en indiquant si la fréquence est supérieure ou inférieure à celle attendue aléatoirement. Des valeurs positives ou négatives de ce paramètre indiquent des mariages plus ou moins fréquents que prévu. La répartition conjointe des conjoints en matière de scolarité est décrite par ces paramètres et par les répartitions marginales en matière de scolarité. Pour estimer ces paramètres, les données CPS entre 1962 et 2013 ont été utilisées.
Pour vérifier la robustesse des paramètres, ils ont été réestimés en tenant compte des ajustements en fonction de l'âge, en créant trois groupes d'âge et en intégrant les couples cohabitants non mariés dans l'échantillon, à l'aide de données norvégiennes. De plus, les paramètres prenant en compte la race, un panel plus long basé sur les données des recensements décennaux, les données d'autres pays et le domaine d'études de l'enseignement supérieur ont également été vérifiés. Enfin, l'indice d'Altham (1970) a été estimé, fournissant une nouvelle mesure pour mesurer la sélection du mariage par éducation basée sur le rapport de cotes des groupes d'éducation appariés (pour chacun des quatre niveaux d'éducation).
Les auteurs ont également effectué des régressions pour les années d'études de l'épouse (variable de résultat) par rapport aux années d'études du mari (variable explicative), ainsi que des régressions inversant la relation entre ces variables. Cet exercice a été réalisé pour chaque année de la période 1962 à 2013. Enfin, le comportement des coefficients associés aux variables explicatives a été vérifié pour chaque année des deux régressions (par rapport à l'éducation de l'épouse et du mari).
Pour quantifier la contribution à l'inégalité des revenus des ménages des changements dans les rendements de l'éducation, la composition éducative et la sélection du mariage selon l'éducation, la méthode de décomposition proposée par DiNardo et al. (1996) a été adoptée. Cette approche fournit des répartitions de revenus selon des scénarios contrefactuels, dans lesquels la répartition d’un facteur est fixe au cours d’une année de référence donnée, tandis que les autres facteurs varient dans le temps. Pour valider les résultats de la méthode de décomposition, différentes spécifications, sous-échantillons et pays ont été pris en compte.
Les résultats trouvés pour les paramètres de sélection par éducation aux États-Unis ont montré l’existence d’une sélection positive à tous les niveaux d’éducation. Cependant, les tendances temporelles variaient selon le niveau d’éducation, indiquant une diminution du paramètre chez les plus instruits au fil des années. En 1962, aux États-Unis, les individus ayant fait des études universitaires étaient presque cinq fois plus susceptibles de se marier avec le même niveau d'éducation que par sélection aléatoire. Ce ratio parmi les couples ayant fait des études supérieures a diminué respectivement pour atteindre environ trois et deux fois dans les années 1980 et 2013. En sens inverse, le paramètre de sélection par niveau d’éducation est passé de 1,6 en 1962 à 7,2 en 2013 en considérant les personnes ayant un niveau d’études secondaires incomplet. En considérant la moyenne de tous les paramètres pour tous les niveaux d’éducation au cours de la période entre 1962 et 2013, les auteurs ont identifié une augmentation progressive de la sélection selon l’éducation.
Concernant les résultats des analyses de robustesse pour le paramètre de sélection du mariage par éducation, toutes les approches ont indiqué la cohérence des comportements et des tendances temporelles identifiées pour différents pays, échantillons, spécifications et périodes. Notamment, les analyses ont montré une baisse plus prononcée du paramètre parmi les couples ayant fait des études supérieures au Royaume-Uni et en Norvège, en plus d'indiquer que le processus de sélection du mariage par éducation est encore plus prononcé lorsqu'on considère le type de cursus de premier cycle : En Norvège, le risque de mariages mixtes était 73 fois plus élevé en 1967, et ce chiffre est tombé à 26 fois en 2013.
Les résultats de l’analyse des déterminants de l’inégalité des revenus entre les familles ont indiqué que la sélection du mariage en fonction du niveau de scolarité avait un impact sur l’inégalité des revenus par rapport au contrefactuel, mais avec une pertinence limitée. L’augmentation des rendements de l’éducation est apparue comme la principale source de l’augmentation des inégalités. En outre, les changements dans la composition de l’éducation ont compensé une partie de l’augmentation des inégalités, en particulier à l’extrémité inférieure de la répartition des revenus des ménages. Ainsi, le scénario contrefactuel estimé indiquait que les inégalités auraient diminué régulièrement si les rendements de l’éducation au niveau de 1962 avaient été maintenus au fil des ans. Là encore, les résultats ont été corroborés par des analyses de robustesse.
Cette étude visait à aborder la relation entre l'inégalité des revenus entre les familles et la sélection du mariage en fonction du niveau d'éducation. Premièrement, le degré de sélection du mariage en fonction du niveau d’éducation a été examiné au fil du temps et entre différents pays, en estimant les paramètres susceptibles d’expliquer cette relation. Deuxièmement, ce paramètre a été utilisé pour quantifier le rôle explicatif de divers facteurs dans l’inégalité des revenus des ménages grâce à une méthode de décomposition.
Les données contenues dans cet article démontrent qu'au fil des années, la sélection du mariage en fonction du niveau d'éducation a augmenté pour les couples moins instruits et diminué pour les couples ayant un niveau d'éducation plus élevé. Les résultats indiquent également que la sélection en fonction du niveau d'éducation des couples contribue pour une part non négligeable à l'inégalité des revenus des ménages dans chaque pays. Cependant, le principal aspect qui explique les inégalités entre les familles est l’augmentation du rendement de l’éducation observée au cours de cette période. Ces données fournissent des informations cruciales pour la formulation de politiques publiques visant à réduire les inégalités de revenus entre les familles.
Références
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